« Des projets jusqu’ici inconcevables sont ceux d’une polyphonie des points sans nombre, où chaque figure, qu’elle soit en « clin d’œil » ou en «point d’orgue» sont toujours momentanées ; figures et situations de temps utopique où l’on voit surgir «aussi ce qui n’arrive pas». Inachèvement lu comme allégorie d’une totalité -d’un Totalklang- impossible. En marge d’un texte, toujours encore inexistant. Musique «à- côté ». Tel est le problème posé aujourd’hui – et cela quels que soient «techniques» et «lieux»: écologie ou calcul, graphie ou son, salle de concert ou promenade- : abolir la différence entre la recherche des formalisations – dans l’écriture et dans «l’événement» – et une telle ouverture. »
fin de l’article ’signaux, répétitions, fenêtres’ in la Revue d’Esthétique n°4 – 1982
1- musiques graphiques, musiques à lire (musiques visuelles)…
composées principalement dans les années 60 – 70; ici quelques pages des séries réalisées de 1963 à 65.
2-Variations sur l’op16 n°4 de A. Schönberg
1- Promenade parfaite pour orchestre et projections
2- Eriverun pour piano
MUSIQUES A LIRE
Contrairement à la première moitié du XX° siècle où la notation musicale, héritée de la tradition, n’a pas changé, à partir des années cinquante cette continuité historique est interrompue. Et encore cette rupture ne se produit que dans un nombre restreint de musiques. Or ce point d’arrêt, bien qu’il ne concerne, en termes statistiques, que « peu de musiques », inquiète : il annule, semble-t-il, la relation d’usage, le pacte instauré entre l’écriture et le son, et par là-même place la partition en danger.
Car c’est dans le texte que tout se réunit et s’équilibre, l’ordre compose avec le désordre pour le résorber ; le fait d’annuler le contenu et la fonction de notation au texte musical projette la partition hors du territoire sonore : elle se délie de son rapport aux sons, et devient stricto sensu sans lien, non-relationnelle, c’est à dire objet sans efficacité ni utilité, presque un hors-objet.
De tels objets, on le sait, ne représentent rien, souvent ils sont perçus comme absurdes : situés à-côté d’un premier texte, qui serait donné par le son, l’écriture agirait maintenant dans le vide. Alors elle feint de jouer, de participer: pure apparence, elle se constitue comme un simulacre, copie de la copie d’un original inexistant. Et il a fallu rappeler, sans cesse, et avec force, que l’échange entre le son et l’écriture – les processus de travail et leurs temporalités – n’allaient jamais de soi ; que jamais le son n’a réduit l’écriture à n’être seulement qu’une de ses dimensions , ne l’a astreint à ne fonctionner (précisément à n’exister, à se constituer, uniquement comme fonction ), sans plus, qu’un signe graphique d’une donnée acoustique.
Les rapports entre composer, écrire une musique, la lire et l’étudier, la jouer et l’écouter, n’appartiennent pas à une seule et unique chronologie, et n’instaurent pas une seule causalité – et n’en sont pas déduit – quand bien même, un but, parcours et résultat, s’avèrent prioritaires. En effet, beaucoup a été dit sur la dualité se jouant, d’une façon générale, entre un modèle et son dédoublement – sur la similitude et la différence , sur (impossible ) répétition, ou encore sur objet, tableau et représentation plus localement, en musique – et pour en donner un exemple – je citerai un fragment d’une remarque faite par Hans Klaus Metzger, où percent clairement la dualité et le paradoxe de l’écriture (musicale) :
« Une partition, autrement dit du papier écrit, n’est pas une musique, mais seulement la notation de la musique. Mais l’audition aussi, souvent tenue pour la musique elle-même, n’est que l’exécution de la musique. En outre, dans la vie musicale dominante, les exécutions sont le plus souvent fausses, c’est-à-dire qu’elles ne reposent pas sur des analyses correctes des partitions; il en découle qu’en règle générale elles sont encore plus éloignées de la musique que les partitions. Pour cette raison, l’écoute musicale (dans les conditions actuelles – on pourrait en fournir maint exemple) nous égare constamment, et l’étude des partitions est seule susceptible de nous aider à aller plus loin. »
A l’évidence, il serait superficiel, après la lecture de ce fragment, d’en conclure à quelque inévitable et fatale défectuosité de toute l’exécution musicale : bien que celle-ci saura restituer parfaitement, et par conséquent rendre « exactement » le style, le contenu et le sens de l’œuvre, elle se situera « plus bas » que le texte. Or c’est une toute autre chose qu’une différence de niveau, auquel cas la restitution, l’exécution resterait avant tout une difficulté d’ordre technique et analytique.
Manifestement la question ainsi posée se trompe de cible ; l’écart perçu, éprouvé , ne se mesure pas en degré de plus ou de moins d’exactitude avec laquelle la restitution, la répétition, parviendrait à recouvrir – à s’identifier à – un premier objet. C’est dans d’autres termes qu’il nous faut décrire cette expérience, incessamment reprise, du manque : une exécution musicale, si accomplie qu’elle soit – et donc conforme à la musique écrite – n’épuise pas le texte. Ce plus de l’écriture est lisible en tant que différence irréductible entre texte et son ; précisément, le fait que le plus du texte échappera continuellement à l’exécution, car de même que le son diverge de ce qui pourrait ressembler à un simple prolongement de la partition, ainsi de même la partition n’est pas une dérivée, quasi automatique – telle une « mise en son » – des faits sonores préexistants. Autrement dit, au-delà d’une relation de continuité il y a interruption : la différence inépuisable – et audible – de deux réseaux de signes ne serait pas celle de degrés mais de « nature ».
1) Toute référence à une mensuration est évitée; un caractère et sa réplique, rapprochés à travers les pages trouées et transparentes, s’installent dans des dimensions sans aucun rapport entre elles, extensibles, elles se modifieront sans cesse (continûment). De cette façon, pas un élément, extérieur ou intérieur au texte, ne peut s’ériger en point de repère: que les distances deviennent démesurément grandes ne signifie pas obligatoirement qu’il s’agisse des durées et des étendues : ceci peut être un effet de transparence. Au lieu d’un segment horizontal de → à, les éléments s’additionnent en perspective, qui soudainement est mise à plat, et c’est encore une fois la surface.
2) Le texte n’est pas fléché : aucun signe n’indique un autre signe. Les expressions, p.ex. « extrêmement doux », ou figures et images… comme des relevés possibles d’une scénographie, d’une dramaturgie, l’ouverture fulgurante, la percée d’un texte jamais écrit… (Kafka, fragments posthumes : « Une demi-lune, une feuille d’érable, deux fusées »), ne sont pas des indications; on ne saura pas s’il est question dans « extrêmement doux » de toute la page, d’un caractère quelconque, de ce qui peut se produire autour; si l’on parle du toucher ou bien de plusieurs choses à la fois, puisque poser cette question c’est déjà mettre des signes en position de contradiction et établir une relation – relation définie, donc une proposition.
… Le temps n’est pas celui d’une œuvre. Telle image, tel son, (Klang -timbre, sonorité) peuvent être poursuivis pendant des heures et des jours, et au cas où les objets seraient relativement immobilisés, il suffirait que nous nous déplacions…; cela ressemble à une promenade sans aucune intentionnalité particulière; les rencontres et les prélèvements passagers – ou encore accumulation – ne changeront pas les objets, ne les transformeront pas en termes antithétiques d’une proposition possible.
in ‘La Copie de la copie’ (thèse de l’auteur Doctorat de Philosophie-Esthétique Univ.Paris 8 1980)